Voilà pourquoi je ne suis pas d’accord avec certains opposants à la ferme des mille vaches

ferme des mille vachesLa ferme dite « des mille vaches » est un projet dans la Somme qui remonte à 2011. Il est emblématique de l’agrandissement des exploitations laitières en France. Ce projet est le premier dans notre pays mais c’est un modèle largement répandu dans d’autres, notamment les États-Unis, l’Allemagne, la Russie. Il est également révélateur des contradictions de nos politiques.

Mon premier étonnement concernait l’orientation retenue par le gouvernement en novembre 2012. Relayée à l’époque par différents média dont Médiapart que je cite ci-dessous, les positions brillaient d’incohérence :

Selon une source proche du dossier, le Ministère aurait proposé trois scénarios pour que le «projet des 1000 vaches» puisse voir le jour:

– un atelier de 1000 vaches laitières sans unité de méthanisation.
– une unité de méthanisation sans atelier de vaches laitières.
– un atelier de 500 vaches laitières avec unité de méthanisation.

S’agissait-il d’une erreur des journalistes ou des politiques ? Je crains que bon nombre d’entre eux soient incompétents dans le domaine où ils exercent. Si ferme de 1000 vaches il doit y avoir, l’installation de méthanisation devrait être obligatoire. Vu toutes les déjections produites par une vache (une vingtaine de mètres cubes de lisier par an), autant récupérer le méthane qui s’en dégage pour éclairer et chauffer nos foyers et industries plutôt que de le laisser réchauffer le climat. « Une unité de méthanisation sans atelier de vaches laitières »… mais alimentée par quoi alors ? A moins que M. Ramery, l’industriel à l’origine du projet, n’aient d’autres déchets à méthaniser. Son groupe possède en effet une division dédiée au traitement des déchets : Ramery Environnement.

Là sans doute réside l’une des inquiétudes suscitées par ce projet dont on ne sait trop s’il s’agit d’un projet industriel ou agricole. Mais où se situe aujourd’hui la frontière entre agriculture et industrie ? Ceci est une question à laquelle je reviendrai un peu plus loin.

En ce qui concerne l’autorisation d’exploiter de la surnommée « ferme des mille vaches », c’est finalement le « bon sens » qui a prévalu puisqu’en mars 2013, la préfecture de la Somme a restreint  le projet à 500 vaches avec installation de méthanisation.

Le 23 janvier 2014, l’État demande à son promoteur, Michel Ramery, de démolir les bâtiments excédant la taille autorisée par le permis de construire. Cela me semble tout à fait logique et je suis surprise qu’on puisse se permettre de construire un bâtiment sans en avoir l’autorisation, surtout quand le projet suscite autant de polémiques.

Les réactions des politiques ne m’ont pas non plus semblé bien logique. Bien sûr, ce ne sont que des citations que j’ai lues ici mais elles m’ont effarée.

Je cite :

José Bové : « L’Europe a besoin de fermes, pas de fermes-usines ! »

Karima Delli, députée européenne EELV : « Ce projet est le symbole de la dérive d’une agro-industrie productiviste qui sacrifie sur l’autel des profits le bien-être animal, l’emploi des agriculteurs, la santé des riverains et la protection de l’environnement ».

Premièrement, la ferme des mille vaches n’étant autorisée que pour 500 vaches, elle devrait être nommée « ferme des 500 vaches » et non « ferme des mille vaches ».

Or, des fermes de cent vaches, il y en a pléthore en France. Je n’ai pas de chiffre sous la main, mais j’en vois régulièrement. Si vous habitez à la campagne, il y a de fortes chances qu’il y en ait une près de chez vous. A cent vaches, il est probable que celles-ci pâturent de temps à autre à la belle saison… quoi que les Holstein, que je considère comme des chimères, ne soient plus vraiment enclines à sortir.

Holstein

Holstein

Ce sont des animaux issus de sélection génétique, non pas pour se balader et être agiles sur leurs pattes mais pour produire le maximum de lait. Un éleveur me confiait un jour qu’il a le plus grand mal à sortir ses vaches (des Holstein, comme par hasard). Je le cite :

« Autrefois, la corvée, c’était de rentrer les vaches. Aujourd’hui, c’est de les sortir. »

A tel point qu’il est obligé de leur emmener de l’herbe dans leur bâtiment car elles ne veulent pas sortir.

Je suis également entrée dans une ferme de 300 vaches. Là, les vaches ne sortaient pas. Mais encore une fois, je ne suis pas du tout persuadée que les Holstein aient la moindre envie de sortir. Je le répète : l’homme a modifié l’espèce pour son propre usage.

Quel est la différence de bien-être animal entre une ferme de 100, 300 ou 500 vaches ? A mon avis, aucune. C’est juste la taille et le nombre des bâtiments qui change. Les vaches sont généralement dans des logettes paillées. Les allées sont des caillebotis en béton sur lesquels elles ont tendance à glisser, je trouve. Pas étonnant qu’il y ait des boiteries à mon avis. Si bémol il doit y avoir, c’est probablement qu’à mille vaches, celles-ci seront sans doute traites trois fois par jour au lieu de deux. Mais il y a déjà des élevages bien plus petits qui le font.

D’ailleurs, quand je vois cette vidéo des opposants au projet, cela confirme ce que je viens d’écrire. Le principe de cet élevage est exactement le même que ce qui existe déjà partout en France : des stabulations, des silos, des fosses à lisier et accessoirement un méthaniseur…

Ce que nos politiques occultent totalement de dire au public, c’est de condamner le principe même de la production de lait : pour qu’une vache donne du lait, il faut qu’elle donne naissance à un veau chaque année. On aura beau mettre la vache sur une aire de 100 m² de paille ou sur un matelas en soie, il n’en restera pas moins qu’on lui prendra son petit à peine né pour donner son lait aux humains. C’est ce principe là qui est particulièrement choquant. Et il a lieu quel que soit le nombre de vaches dans l’élevage : 10, 50, 100, 300 ou 1.000. Quelle que soit la taille de l’élevage, l’exploitation animale est la même.

Un veau dans un élevage de dix vaches

Un veau dans un élevage de dix vaches

Sa mère
Sa mère (pour le coup, ce n’est pas une Holstein mais une race rustique : une Grise – « Grauvieh »)

 

L’autre point que nos politiques occultent totalement de signaler, c’est que José Bové a beau dire que l’Europe n’a pas besoin de fermes-usines, celle-ci en compte pourtant pléthore. Il suffit d’aller voir Outre-Rhin… Peut-être faudrait-il que le public se demande pourquoi les éleveurs ont de plus en plus de vaches. S’ils ont de plus en plus de vaches, c’est dans un objectif de rentabilité. Parce que l’industrie agro-alimentaire ne donne pas grand chose pour un litre de lait (et de doute façon, collecter des petits volumes de lait ne l’intéresse aucunement). Parce que le consommateur non plus ne veut pas payer grand chose.

Là, ce n’est pas moi qui le dit, mais un éleveur (à 1:05) :

Il faut que le public soit bien conscient que si demain, il n’y a pas de ferme de 500 vaches en France, le lait et ses dérivés (lactosérum, poudre de lait, protéines de lait, caséine, etc.) qui composent les produits industriels achetés dans la grande distribution (de la barre de céréales à la pâte à tartiner ou au plat cuisiné – l’industrie agro-alimentaire en met à peu près partout) pourrait tout bonnement venir d’un autre pays… si d’ailleurs ce n’est déjà pas le cas. Quel moyen avez-vous de vérifier l’origine des composants d’un produit industriel? Les emballages qui le précisent sont l’exception.

Enfin, je n’ai pas entendu un politique condamner les trois produits laitiers par jour préconisé par le Programme National Nutrition Santé (s’il en existe, je suis preneuse 😉 ) et je ne serais pas étonnée si José Bové faisait griller des saucisses sur le chantier de la ferme de la Somme.

Les agriculteurs sont des entrepreneurs. Ils réagissent à la demande du marché. Si demain les consommateurs exigent des produits laitiers issus de l’agriculture biologique qui exige que les vaches aient accès aux pâturages lorsque la météo le permet, alors ils se tourneront massivement vers ce mode de production.

Lait d'amandes germées

Lait d’amandes germées

Personnellement, sachant qu’une vache « bio » peut être inséminée, qu’elle est séparée de son petit dès sa naissance, que tous deux finissent dans un abattoir et que je n’ai pas besoin d’avaler du lait de vache pour être en bonne santé, j’ai choisi de ne plus consommer ni produits laitiers ni viande. Si nous consommateurs adoptons une alimentation végétale, nul doute que les agriculteurs français se mettront massivement à mettre sur notre table céréales, lentilles, quinoa(), soja() et autres délices végétariens plutôt que de les donner à leurs animaux.

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